Continuum
J'ai une formation de biologiste bien que je travaille principalement avec des outils informatiques, ce qui me fascine vraiment (à la base) c'est la complexité du monde vivant. Une façon de mettre de l'ordre qui est extrêmement satisfaisante est le mécanisme d'évolution par la sélection naturelle qui a produit cette apparente complexité. Cette explication est satisfaisante car elle est simple, elle ne nécessite pas de concepts compliqués et se base entièrement dans notre connaissance du monde tel qu'on l'a observé, décrit et compris. Mais surtout, elle est fertile, elle prédit énormément de choses qu'on peut vérifier et permet en plus de les comprendre sans quoi ces choses n'ont en apparence aucun sens.
Une chose qu'on comprend bien mieux grâce à la théorie de l'évolution par la sélection naturelle, outre nos origines et celles des espèces qu'on peut rencontrer, c'est qu'en fait les espèces n'existent pas. Ca peut paraître étonnant mais le concept d'espèce est complètement fixiste (créationniste). Il semble indiquer qu'elles ont toujours été là et qu'elles resteront là, immobiles. Il semble dire, que les espèces ne changent pas. C'est pourtant tout le contraire qu'on observe.
Paradoxalement, les biologistes dont la théorie centrale réfute le créationnisme, se servent beaucoup du concept d'espèce. Là où ils le font intelligemment, c'est qu'ils ne perdent pas de vue que ce que nous pouvons appeler espèce (et ce n'est vraiment pas si simple) est juste un concept. Une ligne à peu près arbitraire entre des individus différents définie plus ou moins bien pour les espèces sexuées (par l'interfécondité des individus) et relativement mal pour les espèces asexuées.
Cette ligne est arbitraire car dans les populations suffisamment vastes, il existe un continuum d'individus plus ou moins divergents et donc plus ou moins capables de se reproduire entre eux. A l'extrémité de ce continuum, un individu est incapable de se reproduire avec l'autre extrémité. Pourtant, de proche en proche tous les individus représentant le spectre de divergence entre ces deux individus sont capables de se reproduire entre eux et d'avoir une descendance fertile. La plupart du temps, ces individus sur le continuum n'existent pas ou n'existent plus, car au fil des générations, ils ont disparus, les extrémités du spectres se séparant de plus en plus jusqu'à ne plus être connectées.
Ce concept de continuum est très important car on le retrouve à plusieurs niveaux, pas simplement au niveau de l'espèce, mais aussi au niveau du genre, de la famille. La classification des espèces essaie de discrétiser, de mettre des boites fixes contenant une étiquette, les espèces, dans de plus grandes boites. Deux boites "espèces" contiennent des populations et des individus plus proche entre eux en moyenne que la plus grande boite contenant ces deux boites au départ. En résumé, plus la boite est grande, plus la divergence moyenne entre deux individus qu'on prendrait au hasard est grande. Généralement, on représente ça sous forme d'arbres "phylogénétiques". La phylogénétique, c'est la (une des) méthode par laquelle on classe les espèces en fonction de leur évolution et la classification en tant que telle, se nomme la taxonomie.
Note: l'image ci dessus est reprise de cet article : Hinchliff, C. E., Smith, S. A., Allman, J. F., Burleigh, J. G., Chaudhary, R., Coghill, L. M., ... & Cranston, K. A. (2015). Synthesis of phylogeny and taxonomy into a comprehensive tree of life. Proceedings of the National Academy of Sciences, 112(41), 12764-12769.
Elle représente l'arbre qui classifie les lignées connues (pas les espèces, ce n'est pas possible de les représenter toutes) et la classification consensuelle en 2015 (elle est très probablement différente maintenant, avec les nouvelles données produites et analysées depuis). L'arbre A est coloré en fonction des lignées. L'arbre B est coloré en fonction de la diversité dans le prolongement des branches, plus la couleur est intense, plus la branche contient un grand nombre de lignées (et donc de familles, de genres, d'espèces, etc.). L'arbre C, coloré en nuances de gris, sert de contrôle indiquant quelles régions de l'arbre sont bien connues, sans surprises, les lignées diverses sont plus connues que les autres. Cela remet en perspective notre connaissance des lignées non - diversifiées, est ce qu'elles sont vraiment peu diverses ou est ce qu'elles sont simplement moins bien connues et étudiées mais tout autant diverses ?
Cette tentative de mettre de l'ordre fixiste dans un continuum est vouée à être toujours en échec et ne jamais représenter fidèlement ni complètement la réalité. Si ça marche plutôt bien pour les espèces animales (et surtout les vertébrés), dès qu'on observe autre chose, ça devient vraiment plus difficile à maintenir cet ordre. Pour les bactéries et les virus par exemple, cette approche ne résout pas grand chose.
Différences
Lorsqu'on observe différents points dans le continuum biologique, on détecte très rapidement des différences importantes entre les groupes. Plus les groupes sont divergents, plus ils se sont scindés il y a longtemps, autrement dit, plus leur ancêtre commun remonte à une époque éloignée. La sélection naturelle, pendant ces échelles de temps géologiques, au fil des centaines de milliers, de millions voire de milliards de générations, a modifié les séquences génétiques des groupes en fonction de leur environnement au sens large.
Ces différences dues à la sélection naturelle ne s'expriment pas toujours de façon très claires. Il y a des convergences, des facteurs confondants. Par exemple, différents oiseaux peuvent paraîtres génétiquement très éloignés car ils sont physiquement très différents avec une taille, un chant et un plumage totalement différent. Mais lorsqu'on regarde à leurs séquences génétiques, on détermine qu'en fait ils sont très proches. Etonnamment, l'inverse est aussi vrai, des espèces génétiquement très éloignées se ressemblent parfois à s'y méprendre. Regarder bien la figure ci-dessous, vous pouvez remarquer dessus que tous les chats sont des Felidae et tous les chiens sont des Canidae. Pourtant les phoques, otaries, les morses, les éléphants de mer et les loutres sont dans des groupes différents malgré leur partage de caractéristiques communes (à tel point que faire la différence entre une otarie, un phoque et un éléphant de mer peut parfois être difficile).
Note: cette figure est reprise de cet article : Agnarsson, I., Kuntner, M., & May-Collado, L. J. (2010). Dogs, cats, and kin: a molecular species-level phylogeny of Carnivora. Molecular phylogenetics and evolution, 54(3), 726-745.
Le partage de caractéristiques communes sans être proches génétiquement est typique de ce qu'on appelle la convergence évolutive. Un exemple évident de convergence (en général celui qu'on apprend à l'école) est le cas des baleines et des requins qui ont des nageoires sans que ces nageoires aient une origine commune. En fait, la baleine est le produit de l'évolution d'un ancêtre qui ressemblait probablement à un poisson. Les descendants de ce poisson ont notamment colonisé la terre ferme, bien plus tard, un animal ressemblant à un chat et vivant probablement dans le même genre de milieu que nos hippopotames contemporain a produit une descendance qui est retourné vers le milieu aquatique, ces descendants que nous connaissons maintenant sont les baleines.
Conclusions
Que retenir de tout ça ?
- Il existe un continuum entre toutes les espèces au cours des générations
- Les espèces et autres classifications sont des boites pratiques qu'on utilise pour mieux décrire ce continuum
- Les espèces peuvent se ressembler fort et avoir une origine évolutive, une génétique très différentes, comme les otaries et les loutres
- Les espèces peuvent sembler très différentes et avoir une origine évolutive commune, comme toutes les races de chiens qui descendent probablement d'une seule espèce
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