La pandémie de coronavirus touche de nombreux pays pourtant, certains semblent être bien plus capables d'endiguer l'épidémie localement que d'autres. Mais pourquoi certains pays gèrent ils la crise bien mieux que d'autres. Quels sont les facteurs qui expliquent le succès des uns et la déchéance des autres ?
The relationship between cultural tightness–looseness and COVID-19 cases and deaths: a global analysis
Je vais essayer de résumer cette étude : la relation entre la rigidité / souplesse culturelle et les cas et morts de COVID-19 : une analyse globale. Cette étude observe le spectre entre les cultures rigides et souples (voir cet article pour plus de détail sur cette distinction entre les cultures) et essaie de déterminer si la position sur le spectre d'une culture va influencer la gestion de la crise liée au coronavirus.
Aplatir la courbe
Certains pays ont mieux réussi l'entreprise de réduire la courbe des cas de COVID-19, (même si malheureusement, je ne pense pas que la Belgique fasse partie des pays exemples). Les auteurs postulent que cette différence dans la capacité des différents pays pourrait venir de leurs différences culturelles. On sait que l'adhérence aux normes est importante pour la coordination des efforts et que certaines cultures ont une forte adhésion à ces normes sociales, elles ont plus d'ordre, de coordination et de contrôle de la population (ce sont des cultures rigides) alors que d'autres cultures n'ont pas ces normes aussi fortes, elles sont moins ordonnées et moins contrôlées mais elles ont plus d'ouverture, de tolérance et de créativité (ce sont des cultures souples). La question vient naturellement : est ce que les cultures souples ou rigides diffèrent dans leur gestion de la crise.
Des études historiques ont montré que par le passé, les cultures ont changé leurs normes pour les rendre plus strictes afin d'avoir une meilleure coordination face à une adversité. Visiblement, un plus grande rigidité des normes culturelles confère un avantage à la survie de la société.
La pandémie de COVID-19 offre "un avantage" sans précédent dans l'étude de l'impact de la souplesse/rigidité culturelle face à une adversité car de nombreux pays doivent affronter le même genre de problèmes en même temps. Résoudre ces problèmes demande de la coordination et coopération à grande échelle.
Étudier les courbes
Pour répondre à la question posée ci dessus, les auteurs de cette étude ont récupéré les données publiques mondiales sur l'épidémie de COVID-19 par pays (nombre de lits, de morts, de cas, de tests, etc). Ensuite, ils ont vérifié à quel point le nombre de cas reportés par pays corrèle avec la rigidité des normes culturelles.
Parmi les 57 pays pour lesquelles les données étaient disponibles, les auteurs trouvent une corrélation de -0.41 entre la rigidité des normes sociales et le nombres de cas.
Cette corrélation de -0.41 semble indiquer que les pays avec des normes plus strictes sont aussi ceux qui ont moins de cas de COVID-19. C'est une tendance générale et il est possible de trouver des pays aux normes rigides qui ont comptabilisés plus de cas que d'autres pays moins rigides. Il y a une première objection évidente qui est la suivante : il se peut que certains pays reportent mieux les nombres de cas, de morts etc. Alors que d'autres. Les valeurs reportées sont donc biaisées par la qualité de la détection dans les pays. Heureusement, il y a une façon simple de vérifier que les pays rapportent suffisamment bien le nombre de cas.
Contrôler les biais
Comme le nombre de cas rapportés dépend en majorité du nombre de tests effectués, il est possible d'observer le ratio tests/cas si le ratio est bas, cela signifie qu'il y a autant ou moins de tests que de cas rapportés et donc que le pays ne teste que les cas symptomatiques (comme les USA ou la Belgique en 2020). Cela signifie qu'il y a probablement beaucoup de cas qui ne sont pas comptabilisés et donc qui n'apparaissent pas dans les données. À l'inverse, les pays avec un ratio tests/cas élevé sont des pays qui vont probablement comptabiliser plus de cas asymptomatiques que les autres pays. Il y a d'autres façon de contrôler que les risques de biais dans la comptabilisation des cas affectent l'analyse comme de vérifier le ratio cas/décès ou le nombre de lits occupés par 1000 habitants.
Les auteurs ont complété leurs données avec des variables qui ne sont pas directement liées à la culture et aux normes sociales. Il existe plusieurs variables importantes et évidentes comme l'état économique du pays, la densité de population, l'âge moyen de la population, le taux de mortalité normal du pays, si le pays est une dictature ou une démocratie, etc. D'autres facteurs mesurés sont liés aux réponses des pays à la crise COVID-19 : le temps entre la détection du premier cas et le confinement de la population, les interdictions de voyages, les amendes pour le non-respect des nouvelles règles sanitaires, etc.
Généraliser et prédire avec des modèles
Une fois le jeu de donnée complet, il reste le problème de généraliser toutes ces variables pour expliquer la variance de la variable qu'ils souhaitent expliquer : le nombre de cas de COVID-19 (corrigés) en fonction des pays (certains pays comme la Chine et la Russie ont été accusés de mentir sur les nombres rapportés et ont été exclus de l'analyse pour ces raisons).
Une façon de généraliser et d'expliquer la variance de notre variable d'intérêt (le nombre de cas par pays qu'on va appeler ici Y), c'est d'utiliser une régression linéaire. En bref, on va prendre chaque variable X dans nos données (rigidité culturelle, densité de pop, richesse moyenne, âge médian, etc.) et la multiplier par un paramètre B on obtient donc B·X. Ensuite on va simplement additionner les variables modifiées par leur paramètres ensemble. On se retrouve avec une longue équation de ce style là :
Ensuite, on va laisser l'ordinateur trouver des valeurs pour A, B1, B2, ..., Bn jusqu'à ce qu'il trouve une façon satisfaisante d'obtenir Y. Par exemple, on a pour chaque pays une valeur de Y (par exemple : Canada = 10 et Japon = 6) et on a aussi des valeurs de X1 et X2 (par exemple Canada = ). J'ai ajouté des valeurs dans le tableau ci-dessous pour mieux visualiser :
Pays | Y | X1 | X2 |
---|---|---|---|
Canada | 10 | 4 | 5 |
Japon | 6 | 10 | 7 |
Avec ces données, des outils informatiques (j'ai utilisé scikit-learn) permettent de déterminer les meilleures valeurs possibles pour A, B1 et B2. Dans l'exemple minimaliste ci-dessus, j'obtiens les valeurs suivantes :
A = 13.4; B1 = -0.6; et B2 = -0.2; Dans cet exemple simple, on obtient des valeurs quasiment exactes mais plus on ajoute des variables Xn et des pays, plus ce sera difficile de trouver des valeurs exactes. Vous pouvez vérifier pour le Canada et le Japon, ces deux affirmations sont justes :
Une fois qu'on a obtenu toutes les valeurs de A et Bn, on peut comparer trois choses :
- Notre modèle (qui dépend des variables (Xn) qu'on a choisi) comparé avec la réalité (Y), à quel point le modèle est capable de prédire Y en fait.
- Comparer la capacité de différents modèles : différents sous ensemble de variables (Xn) peuvent être plus ou moins capable de prédire Y.
- Comparer les paramètres du modèles (Bn) entre les différentes variables (Xn). Si dans tous les modèles on remarque que B1 (le paramètre de X1) est plus grand que B2 (le paramètre de X2), cela signifie que X1 est probablement une variable importante car elle a un gros impact sur le modèle et donc sur la qualité de sa prédiction. Dans notre exemple, B1 = -0.6 ce qui indique que X1 est plus utile pour distinguer Y que X2. De plus il est négatif, ce qui indique que X1 et Y sont anti-corrélés (quand l'un augmente, l'autre a tendance à diminuer). Et c'est logique : il y a plus d'information dans X1 vu que les valeurs de X1 sont très différentes par rapport aux valeurs de X2.
Dans l'étude qui nous intéresse, les auteurs ont créé 10 modèles en utilisant plusieurs sous-ensembles de leurs variables (par exemple dans un cas, ils ont utilisé le ratio test/cas et dans un autre ils ont utilisé le nombre de tests par 1000 habitants ou encore le nombre de lits occupés dans les hôpitaux pour 1000 habitants). Le premier résultat intéressant, c'est que dans tous les modèles le paramètre de la rigidité des normes culturelles a une valeur élevée : entre -0.68 et -0.9. Pour comparer, les paramètres associés à la densité de population (naïvement, je supposais que ce facteur devait avoir un gros impact dans les modèles) sont relativement faible entre -0.19 (faible impact car proche de 0) et 0 (aucun impact dans ce modèle).
Cette tendance ce vérifie assez simplement quand on observe directement les données. Ci-dessous, le graphique tiré de l'article montre le nombre de cas par millions d'habitants sur l'axe Y (vertical) en fonction de la rigidité des normes sur l'axe X (horizontal). Chaque point représente un pays dont les coordonnées dans le graphe correspondent à un couple : rigidité x nombre de cas. Attention, l'axe Y est en logarithme et il s'agit du nombre de cas par million d'habitant. Par exemple, l'Argentine est proche de la valeur 10 sur l'axe Y. On sait qu'à la date du 16 Octobre 2020 (la date à laquelle les auteurs ont récupéré toutes les données), les dernières informations disponibles sont (environ) 45 millions d'habitants et 965 000 cas. Donc le nombre de cas par millions est de environ 21 400 et le logarithme de 21400 donne à peu près 9.97 ce qui est approximativement 10. Note: il s'agit du logarithme naturel ici, pas celui en base 10 sinon c'est trop facile...
Le graphique est tiré directement de l'article "The relationship between cultural tightness–looseness and COVID-19 cases and deaths: a global analysis".
Pourquoi les pays aux normes strictes sont meilleurs dans la gestion de la pandémie ?
Pour répondre à cette question, les auteurs se sont tournés vers (encore!) d'autres modèles. Plus intéressant ceux-ci (enfin je trouve...) car ce sont des modèles tirés d'un domaine particulier : la théorie évolutive des jeux. L'hypothèse des auteurs est la suivante : les pays ayant des cultures aux normes strictes sont meilleurs pour gérer la pandémie parce que les citoyens sont plus coopératifs. Mais simplement trouver des corrélations dans des modèles ne permet pas de vérifier cette hypothèse... Il faut des modèles plus élaborés.
Les comportements de coopération pendant une pandémie sont par exemple de porter un masque en public, d'appliquer la distanciation sociale, de rester confiné chez soi et de se laver les mains régulièrement. Beaucoup de ces mesures sont contraignantes et donc ont des coûts individuels, cependant ils apportent un bénéfice aux autres qui profitent (ici de la sécurité).
Certains modèles en théorie évolutive des jeux simulent des populations d'individus (appelés des agents) dans différentes conditions de menaces et dans lesquelles la coopération devient essentielle. Dans ces modèles, quand les menaces sont fortes les populations survivent en se connectant, en coopérant plus. Dans ces modèles les agents ont deux actions possibles : coopérer et faire défection (ne pas coopérer).
Jeu du prisonnier et jeu du don
Le modèle que les auteurs ont développé est basé sur une variante du jeu du prisonnier : le jeu du don. Dans le jeu du prisonnier, il y a deux joueurs qui sont faces au même dilemne : si un joueur trahi son complice (l'autre joueur), il n'ira pas en prison. L'autre joueur, le complice, peut aussi trahir le premier. Il y a donc 4 cas possibles qui sont repris dans le tableau ci-dessous. Parmi ces 4 cas, les peines de prisons varient entre 3 ans et pas de prison '/' :
Joueur A coopère | Joueur A trahi | |||
---|---|---|---|---|
A | B | A | B | |
Joueur B coopère | 1 an | 1 an | / | 3 ans |
Joueur B trahi | 3 ans | / | 2 ans | 2 ans |
Comme vous pouvez le constater, les joueurs ont intérêt à ne passer aucun temps de prison et pour ça il faut trahir. Les deux joueurs ne peuvent pas communiquer et ils ne peuvent donc pas savoir ce que l'autre a prévu de faire. Suivant le même raisonnement, les deux risques de se trahir et dans ce cas, ils purgeront chacun deux ans, ce qui est plus que s'ils avaient coopéré au départ, cependant, coopérer implique le risque de se faire trahir et de devoir passer 3 ans en prison.
Il existe beaucoup de situations dans le monde réel qui sont analogues au dilemne du prisonnier. Par exemple, les courses à l'armement. Si les pays essaient de s'accorder pour diminuer le nombre de missiles nucléaires dont ils disposent (ce qui est une bonne chose pour l'apaisement international), ils risquent dans le même temps de se retrouver désarmés par rapport aux pays qui n'ont pas coopéré et qui ont conservé leur arsenal nucléaire. Du point de vue des deux pays, le coût de coopérer et de se faire trahir est plus grand que celui de ne pas coopérer du tout alors que du point de vue global, la coopération est la solution qui maximise la paix pour tout le monde.
Dans le jeu du don, les joueurs peuvent aussi coopérer ou ne pas coopérer mais dans ce cas, la coopération implique d'offrir à l'autre joueur un don (qui a un coût personnel). Si on coopère on offre une somme Ct à l'autre joueur. Ne pas coopérer signifie qu'on offre rien. Le tableau ci dessus ce transforme en ceci. Bn est le bénéfice de chaque joueur dans ce jeu. Si les deux joueurs coopèrent, Bn du joueur A est égal à Ct du joueur B. Si aucun des deux ne coopère, il n'y a aucun bénéfice.
Joueur A coopère | Joueur A ne coopère pas | |||
---|---|---|---|---|
A | B | A | B | |
Joueur B coopère | Bn - Ct | Bn - Ct | Bn | 0 - Ct |
Joueur B ne coopère pas | 0 - Ct | Bn | 0 | 0 |
Les auteurs vont utiliser ce jeu pour modéliser la coopération d'une population soumise à la menace de la pandémie. Leur hypothèse de départ dans ce modèle est que les populations ayant une culture aux normes rigides vont plus souvent coopérer que celles ayant une culture aux normes plus souples.
Le modèle évolutif
On peut postuler que appliquer les gestes barrières c'est un peu comme un jeu du don : le coût personnel Ct correspond au don qu'on fait aux autres en portant un masque par exemple ou en évitant de voyager et en restant chez soi. Quand les autres coopèrent, on reçoit un bénéfice (on a pas de risque d'attraper la maladie). Cependant, il y a des profiteurs, qui ne veulent pas arrêter de voyager, d'aller au restaurant, en bref, des individus qui ne coopèrent pas. Ces personnes gagnent plus que les autres parce qu'elles ne paient pas le coût personnel des gestes barrières mais profite de la protection fournie par les autres personnes qui coopèrent.
Un autre postulat de départ de ce modèle, c'est que nous reproduisons les normes sociales, il y a une forme de contagion sociale. C'est en fait assez évident : imaginez-vous en train de danser ou chanter tout seul au milieu d'une foule. Maintenant, imaginez vous l'inverse, être assis, seul au milieu d'une foule qui danse ou chante autour de vous. Dans les deux cas, vous aurez tendance à vouloir vous conformer à la norme. Évidemment, en fonction des contextes, de la culture, et d'autres facteurs sociaux, cet exemple ne tiendra pas forcément mais il illustre tout de même le point principal.
Le modèle va donc se composer d'agents qui jouent au jeu du don dans un environnement soumis à une menace :
- Les agents peuvent utiliser deux stratégie : coopérer ou ne pas coopérer. Au départ, cette stratégie est déterminée au hasard et il y a autant de chance pour que l'une ou l'autre soit choisie. Cependant au fur et à mesure des générations, les agents seront influencés par leurs voisins et pourront changer de stratégie si la stratégie dominante parmi leurs voisins est différente de celle qu'ils appliquent pour le moment. Par simplicité, on appelle les agents qui coopèrent "coopérateurs" et les agents qui ne coopèrent pas "défecteurs".
- L'environnement est une grille, une sorte d'échiquier sur lequel les agents vont devoir survivre pendant plusieurs générations. Au départ l'environnement est vide et ne contient aucun agent.
Les générations se déroulent toujours en 5 phases :
- 1. La phase d'immigration : pendant cette première phase, un agent va apparaître sur une case vide choisie au hasard dans l'environnement. S'il n'y a pas de case vide, alors aucun agent n'apparaît dans l'environnement.
- 2. La phase d'interaction : pendant cette phase, les agents interagissent avec leurs voisins proches, ils jouent au jeu du don et obtiennent leurs gains. Le gain d'un agent est calculé de la même façon à chaque génération : Gain = gain de base + gain d'interaction - niveau de menace. Le gain de base est une valeur fixe que les agents reçoivent à chaque génération. Le gain d'interaction est le gain obtenu avec le jeu du don et les gains de chaque paire d'agents dépend de leur stratégie (voir le tableau ci-dessus pour le calcul des gains). Finalement, le niveau de menace est une valeur qui augmente au cours des générations, elle simule la pandémie et on suppose que plus la maladie est forte, plus la menace est grande.
- 3. La phase de reproduction : une fois qu'on connait le gain de tous les agents, on peut voir lesquels ont obtenu le meilleur score et on peut supposer que ces agents seront de meilleurs reproducteurs. On utilise le score que chaque agent a obtenu pour calculer le fitness, cette valeur indique la probabilité que l'agent se reproduise. Si l'agent a un fitness proche de 1.0 alors il se reproduira et s'il a un fitness proche de 0.0 alors il ne se reproduira pas. Comme dans la nature, les enfants ressemblent à leurs parents et on suppose qu'il y a une grande probabilité que les enfants adoptent la même stratégie que leurs parents. Un parent coopérateur va donc donner naissance (si son fitness est suffisamment élevé) a des enfants coopérateurs.
- 4. La phase de mort : durant cette phase, on suppose que les agents risquent tous de mourir à cause de la menace, cependant, certain d'entre eux s'en sortent mieux (meilleur fitness). On va donc calculer la probabilité de mourir de chaque agent. Si un agent meurt, il libère la case sur laquelle il se trouvait. La probabilité de mourrir diminue avec le fitness. Un fitness de 1.0 (meilleur possible) donnera une probabilité de mourir de 0.1 et un fitness de 0.0 (pire possible), une probabilité de mourir de 1.0.
- 5. La phase de contagion sociale : pendant cette dernière phase, les individus vont observer tous leurs voisins et se conformer à l'attitude majoritaire. Si les voisins sont une majorité de coopérateurs alors l'agent va devenir coopérateur (ou le rester s'il l'était déjà). Si les voisins sont en majorité défecteurs alors l'individu va devenir défecteur. Si il y a un nombre égal de coopérateurs et de défecteurs alors l'agent aura une chance égale d'être contaminé par l'un ou par l'autre. À chaque génération cette contagion a lieu dans un ordre différent pour éviter qu'il y ait toujours des agents "influencé" qui se conforment systématiquement avant les autres et d'autres "influenceurs" qui se conforment systématiquement après tous les autres.
Finalement, on va mesurer deux choses à chaque génération : le taux de coopération et le taux de survie.
- Taux de coopération : proportion entre le nombre d'agents qui coopèrent et le nombre total d'agents.
- Taux de survie : proportion entre le nombre total d'agents et l'espace total dans l'environnement.
Notre question de départ est de savoir pourquoi les cultures rigides semblent mieux gérer la crise. Pour rappel, l'hypothèse est que les pays ayant des cultures aux normes strictes sont meilleurs pour gérer la pandémie parce que les citoyens sont plus coopératifs. Pour simuler cette meilleure coopération, on va postuler que dans les cultures rigides, il y a une forte contagion sociale. Et donc que dans les cultures souples il y a une faible contagion sociale. Autrement dit, dans les conditions "rigides" de notre modèle, quand les agents observent leurs voisins, ils vont plus facilement être influencé pour changer de stratégie. À l'inverse dans les conditions "souples" du modèle, les agents sont moins facilement influencables. Concrètement, on peut dire que la probabilité de contagion est de 20% dans le modèle rigide et de 5% dans le modèle souple.
Une fois que le modèle est codé et que les paramètres (souples ou rigides) sont choisis, on laisse simplement les agents se reproduire pendant environ 1000 générations. Évidemment, comme il y a des décisions prises au hasard dans le programme, on va faire plusieurs simulations avec les mêmes paramètres de départ de ce programme. J'ai fait 100 simulations avec des normes souples (5% de contagion sociale) et 100 simulations avec des normes strictes (20% de contagion sociale). On obtient donc 200 "sociétés simulées" qu'on peut ensuite étudier.
Le graphique ci-dessous montre l'évolution du taux de coopération des sociétés simulées (avec une culture souple en bleu et stricte en orange) pendant 1000 générations en fonction du niveau de menace (en rouge). Il y a plusieurs observations à faire sur ce graphique :
- Les fines lignes noires montrent les sociétés (les simulations) et la ligne épaisse en couleur montre la moyenne de toutes les simulations.
- Il y a deux types de sociétés : les sociétés de coopérateurs et les sociétés de défecteurs. Dans le premier type, la majorités des individus sont coopérateurs (ce sont les lignes noires du dessus proche de 1.0), dans le second type, la majorité des individus ne coopèrent pas (ce sont les sociétés dont les lignes sont en dessous proche de 0.0).
- Dans les cultures souples (en bleu), les sociétés de coopérateurs sont quasiment aussi nombreuses que les sociétés de défecteurs. Ca se remarque car la ligne bleue qui correspond à la moyenne de toutes les lignes noires est proche de 0.5.
- Dans les cultures strictes (en orange), les sociétés de coopérateurs sont favorisées par rapport aux sociétés de défecteurs. Ca se voit sur le graphique à la ligne orange qui est située entre 0.7 et 0.8 et pas à 0.5 comme pour les simulations de culture souple. Il y a aussi moins de variations entre les individus dans les cultures strictes. Ca se voit au niveau de la distribution des lignes noires qui sont plus proches les unes des autres.
- On peut voir des transitions de sociétés de défecteurs qui deviennent des sociétés de coopérateurs au niveau de la génération 750.
- Toutes les sociétés de défecteurs sont capables de s'adapter et de devenir des sociétés de coopérateurs dans les deux types de conditions (souples et strictes).
- Les transitions sont plus rapides dans les sociétés aux normes strictes, on le voit au niveau de la pente des courbes qui traversent le graphe de base en haut qui sont plus raides dans les sociétés aux normes strictes. Cependant. le déclenchement des transitions est plus difficile dans les sociétés aux normes strictes, elles attendent parfois plus longtemps avant de faire une transition, il faut que la menace soit plus grande.
On peut ensuite regarder l'évolution du taux de survie dans les sociétés simulées :
- En moyenne le taux de survie est meilleur pour les sociétés de coopérateurs (les lignes noires au dessus dans chaque graphe). Et il est aussi un peu meilleur dans les sociétés strictes.
- Le meilleur taux de survie se trouve dans les sociétés strictes et coopératrices. Cependant, le pire se trouve dans les sociétés strictes de défecteurs car elles n'arrivent apparemment pas à faire la transition. Ici mon modèle donne un résultat un peu différent de celui des auteurs qui trouvent que les sociétés strictes s'adaptent mieux. Je pense que c'est parce que mon modèle ne se base que sur 1000 générations, 15 fois moins que celui des auteurs de l'article. En principe, la différence majeure que cela provoque entre leurs résultats et ceux ci-dessous, c'est que le nombre de générations disponibles pour s'adapter à une menace est plus faible dans mon modèle et donc les sociétés simulées auront plus de difficultés à survivre car la menace augmente plus fort et plus vite en quelque sorte... Pour vérifier, il faudrait également tester avec des environnements plus grands (une grille de 50x50 par exemple plutôt que 20x20) et avec différents paramètres pour bien comprendre la dynamique en jeu.
En résumé :
Voici un rapide résumé des éléments clés (d'après moi) de l'article.
- Les pays (sociétés) aux normes plus strictes semblent aussi avoir moins de cas de COVID-19 et donc gérer mieux la crise.
- Dans toutes les régressions linéaires (les premiers modèles dont j'ai discuté) des auteurs, le paramètre de la rigidité des normes culturelles a une valeur élevée. La rigidité des normes culturelles semble donc être une variable importante dans la prédiction pour savoir si un pays a beaucoup de cas de COVID-19 ou pas.
- Nos simulations qui utilisent le jeu du don pour modéliser la coopération entre les individus et donc le niveau de rigidité des normes, indiquent que les sociétés aux normes strictes ont plus de chance d'être des sociétés de coopérateurs et qu'elles ont en général un meilleur taux de survie moyen.
Qu'est ce que ça veut dire tout ça ?
L'étude n'est pas prescriptive, elle cherche simplement à observer comment les différentes sociétés gèrent des menaces communes et quels sont les facteurs qui influencent l'évolution de la pandémie dans les différents pays. Cependant, je pense qu'une leçon générale qu'on peut en tirer et qui semble évidente est la suivante : la coopération est importante ! Le jeu du don est basé sur ce principe, il n'y a des bénéfices pour tout le monde que si tout le monde coopère.
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